LES AVOCATS MANDATAIRES SPORTIFS MIS SUR LA TOUCHE : UN CARTON ROUGE DEONTOLOGIQUE CONTESTABLE
C. cass., 29 mars 2023, n°21-25.335

Par Dr  Laura JAEGER, juriste consultante, 186 | AVOCATS et Me Geoffroy CANIVET, avocat associé, 186 | AVOCATS

« La casquette d’agent sportif se marie-t-elle avec la robe de l’avocat ? »[1]. La Cour de cassation vient de répondre – implacablement – par la négative, maintenant le cap tenu avant elle par la Cour d’appel de Paris.

Le coup d’envoi de ce match haletant, ayant opposé les avocats mandataires sportifs aux agents sportifs, a été donné le 2 juin 2020 par une délibération du conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Paris, ayant ajouté au règlement intérieur dudit barreau un article P.6.3.0.3 ainsi rédigé :

« L’avocat peut en qualité de mandataire sportif, exercer l’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement.

L’avocat agissant en qualité de mandataire sportif ne peut être rémunéré que par son client. Cette activité doit donner lieu à une convention écrite qui peut, le cas échéant, stipuler que le joueur donne mandat au club sportif de verser en son nom et pour son compte à l’avocat, les honoraires correspondant à sa mission»

Aux termes de cette délibération, le conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Paris permettait, purement et simplement, à l’avocat mandataire sportif d’exercer l’activité d’intermédiation, propre à l’agent sportif.

Le 10 juillet 2020, Madame le Procureur général près la Cour d’appel de Paris a donné un premier coup de sifflet dans ce match, en formant un recours en annulation à l’encontre de cette délibération.

Preuve de l’intérêt de tout un milieu professionnel pour les prestations susceptibles d’être fournies par les avocats mandataires sportifs, sont intervenus volontairement à l’instance, à titre principal, soit au soutien du conseil de l’Ordre, l’Association des avocats mandataires sportifs (ADAMS) et, à titre accessoire, soit au soutien du recours en annulation, la Fédération française de football (FFF), le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), la Fédération française de rugby (FFR) ainsi que l’association Union des agents sportifs du football (UASF).

La première mi-temps du match s’est soldée par l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 octobre 2021[2], ayant annulé en son intégralité l’article litigieux du règlement intérieur du barreau de Paris : 1-0 pour les agents sportifs.

La seconde mi-temps a débuté par les pourvois en cassation formés tantôt par le conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Paris, tantôt par l’Association des avocats mandataires sportifs, lesquels ont été joints eu égard à leur évidente connexité.

Transformant l’essai, la Haute juridiction est venue siffler la fin de la partie par un arrêt du 29 mars 2023, publié au Bulletin, entérinant la décision d’appel : 2-0 pour les agents sportifs.

Pour celle-ci en effet, l’avocat ne peut, d’une part, « tant à titre principal qu’à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif » et, d’autre part, « être rémunéré par un club qui est le cocontractant de son client ». Elle approuve ainsi les juges d’appel d’avoir « déduit que l’article P.6.3.0.3. devait être annulé en son alinéa 1er, qui n’était pas compatible avec l’exercice de la profession d’avocat, ainsi qu’en son alinéa 2, qui était source de conflits d’intérêts et contraire à la loi ».

Retour sur les temps forts de ce match, dont l’arbitrage sévère, sous couvert du strict respect de la déontologie de l’avocat (I), n’est pas exempt de toute critique (II).

I- Un arbitrage sévère légitimé par le strict respect de la déontologie de l’avocat

La déontologie de l’avocat proscrit tant l’activité d’intermédiation de l’avocat mandataire sportif (A) que sa rémunération directe par le club du joueur qu’il représente (B).

A- Carton rouge pour l’activité d’intermédiation de l’avocat mandataire sportif

  • Le signal de départ donné à l’avocat mandataire sportif par la loi du 28 mars 2011

Aux prémices de ce contentieux, la loi n°2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées ayant ajouté à celle n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques un article 6 ter, dont l’alinéa 1 dispose :

« Les avocats peuvent, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, représenter, enqualité de mandataire, l’une des parties intéressées à la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L. 222-7 du code du sport. »

Précisément, l’article L. 222-7, alinéa 1, du Code du sport – tel que modifié par la loi n°2010-626 du 9 juin 2010 encadrant la profession d’agent sportif – envisage l’activité d’agent sportif en ces termes :

« L’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d’une licence d’agent sportif. »

Il s’ensuit que l’avocat peut, sans conteste, être mandataire sportif. Au demeurant, le Règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN) prévoit expressément, au titre des missions particulières de l’avocat (art. 6.3), l’activité de mandataire sportif, sous réserve d’en faire la déclaration préalable à l’Ordre (art. 6.4).

  • Le coup de frein donné à l’activité d’intermédiation de l’avocat mandataire sportif

Néanmoins, l’avocat mandataire sportif peut-il exercer l’activité d’intermédiation sportive, alors même que l’article L. 222-7 du Code du sport susvisé attribue un monopole aux agents sportifs, détenteurs d’une licence ad hoc, sur ladite activité de mise en relation des joueurs et des clubs ? Plus avant, l’avocat, s’il venait à acquérir une telle licence, pourrait-il parallèlement exercer cette activité d’intermédiation ?

A cet égard, il résulte des nouveaux articles 21 et 22 du décret n°2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats – ayant respectivement repris à l’identique les articles 115 et 111 a) du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat désormais abrogés – que :

  • D’une part, « [l]a profession d’avocat est incompatible avec l’exercice de toute autre profession, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires particulières» ;
  • D’autre part, plus spécialement, « [l]a profession d’avocat est incompatible : a) Avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée».

Or, il n’existe stricto sensu aucune dérogation, législative ou réglementaire, permettant à l’avocat d’exercer cumulativement la profession, distincte, d’agent sportif.

A fortiori, l’activité d’agent sportif – en ce qu’elle consiste à mettre en relation les joueurs et les clubs – constitue une activité de courtage, commerciale par nature, ainsi que cela ressort de l’article L. 110-1, 7° du Code de commerce.

Maintenant le cap affiché par le garde des Sceaux lors des travaux préparatoires de la loi du 28 mars 2011[3], une réponse ministérielle avait au demeurant affirmé, et ce sans la moindre ambiguïté, que :

« […] s’il entre dans les attributions d’un avocat, de représenter, dans le cadre d’un mandat, les intérêts d’un sportif ou d’un club, l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice d’une activité sportive, qui caractérise l’activité d’agent sportif, constitue, en revanche, une activité de courtage, par nature commerciale et, de ce fait, interdite aux avocats »[4].

Certes, le décret n°2016-882 du 29 juin 2016, pris en application de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, a ajouté un alinéa à l’article 111 du décret du 27 novembre 1991 précité – aujourd’hui abrogé et repris à l’article 22 de celui portant code de déontologie des avocats –, aux termes duquel :

« Les incompatibilités prévues aux alinéas précédents ne font pas obstacle à la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession. »

Ces dispositions sont du reste réitérées par l’article 6.2 du RIN, comme suit :

« Il est interdit à l’avocat d’intervenir comme prête-nom et d’effectuer des opérations de courtage, toute activité à caractère commercial étant incompatible avec l’exercice de la profession.

Les incompatibilités prévues à l’alinéa précédent ne font pas obstacle à la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession. »

Aussi, l’activité accessoire d’intermédiation sportive ne pourrait-elle pas constituer une activité connexe à l’exercice de la profession d’avocat ?

Ainsi que le relève l’Avocat général, cela ne va pas de soi ; pour preuve, un arrêt de la Première chambre civile du 15 mars 2005, publié au Bulletin, a d’ores et déjà reconnu « le caractère étranger à l’exercice normal des activités d’avocat » de l’activité de courtage[5].

De même, si le préambule du décret du 29 juin 2016 susvisé autorise, au titre des activités commerciales accessoires présentant un lien de connexité avec la profession d’avocat, « l’édition juridique, la formation professionnelle ou encore la mise à disposition de moyens matériels ou de locaux au bénéfice d’autres avocats ou sociétés d’avocats », force est de relever que l’activité de courtage d’agent sportif n’y figure pas.

C’est donc à bon droit que la Haute juridiction a conclu « quel’avocat ne peut, tant à titre principal qu’à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif ». L’éventuelle détention par l’avocat de la licence idoine apparaît dès lors – en toute rigueur – indifférente, contrairement à la solution qui pouvait s’inférer de certaines jurispudences antérieures[6].

Plus avant, en soulignant « que seul l’agent sportif peut mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, tandis que l’avocat a pour attribution de représenter les intérêts d’une des parties à ce contrat », la Cour de cassation met expressément en exergue le caractère distinct de ces deux activités.

Par suite, la Haute juridiction approuve l’annulation du premier alinéa du texte ordinal, lequel « n’était pas compatible avec l’exercice de la profession d’avocat ».

B- Carton rouge pour la rémunération de l’avocat mandataire sportif directement par le club

Sur le terrain de la rémunération de l’avocat mandataire sportif, la loi du 28 mars 2011 a ajouté un alinéa à l’article 10 de celle du 31 décembre 1971, rédigé en ces termes :

« Dans le mandat donné à un avocat pour la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L. 222-7 du code du sport, il est précisé le montant de ses honoraires, qui ne peuvent excéder 10 % du montant de ce contrat. […]L’avocat agissant en qualité de mandataire de l’une des parties intéressées à la conclusion d’un tel contrat ne peut être rémunéré que par son client. »

Aucune dérogation n’étant prévue par ladite loi, fût-ce dans le cadre d’un mandat donné à un tiers, la Cour de cassation, à la suite des juges d’appel, en déduit « que l’avocat ne peut être rémunéré par un club qui est le cocontractant de son client ».

Elle approuve en conséquence l’annulation du second alinéa du texte ordinal, « qui était source de conflits d’intérêts et contraire à la loi ».

Nonobstant le couvert de la déontologie de l’avocat, l’arbitrage judiciaire ainsi rendu n’est pas exempt de critiques.

II- Un arbitrage sévère louable mais discutable

Bien que la solution retenue au regard de l’activité de courtage, bien distincte de celle de mandat, se justifie déontologiquement, la motivation de la décision d’appel, in fine confirmée par la Cour de cassation, nous paraît pour le moins alambiquée (A), pour ne pas dire erronée sur le terrain de la rémunération de l’avocat (B).

A- Une motivation périlleuse aux fins de censurer l’activité d’intermédiation de l’avocat mandataire sportif

Contre toute attente, dans son arrêt du 14 octobre 2021, la Cour d’appel de Paris soutient que :

« […] la mise en relation des joueurs et des clubs constitue une mission principale, indispensable et préalable à la conclusion des contrats, qui ne peut pas être considérée comme une activité accessoire à la négociation et à la conclusion des contrats, lesquels interviennent nécessairement après le recrutement des joueurs. 

Ainsi l’avocat, en sa qualité de mandataire, ne peut exercer l’activité de mise en rapport des joueurs et des clubs, qui est une activité commerciale principale, ni donc intervenir, dans la phase d’élaboration des contrats, avant que les sportifs et les clubs aient été préalablement mis en relation par un agent sportif. »

En cela, la Cour d’appel fait inopinément usage d’un critère chronologique, somme toute inédit, afin de définir l’activité commerciale accessoire, laquelle devrait nécessairement être postérieure à l’activité juridique principale de l’avocat.

Or, s’il est vrai « que l’activité commerciale exercée par un avocat ne peut qu’être une activité accessoire à son activité principale de conseil, d’assistance et de représentation », rien n’interdit juridiquement que cette activité commerciale accessoire soit antérieure à l’activité juridique principale.

B- Une motivation erronée aux fins de censurer la rémunération de l’avocat mandataire sportif directement par le club

De même, s’agissant de la rémunération de l’avocat mandataire sportif, les magistrats opèrent une lecture littérale de l’article 10 de la loi de 1971 modifiée par celle de 2011 précité, alors que le texte ordinal n’envisageait le paiement de l’avocat par le club sportif cocontractant de son client qu’en vertu d’un mandat donné par le joueur à cette fin, conformément aux dispositions de l’article 1984 du Code civil.

Par suite, dans la mesure où l’alinéa 2 du texte ordinal se contente d’appliquer les dispositions de droit commun du mandat, le carton rouge déontologique ayant frappé cet alinéa ne nous paraît pas justifié, ce d’autant plus que l’article 11.3 du RIN autorise expressément l’avocat à percevoir des honoraires d’un mandataire de son client.

En définitive, il apparaît superfétatoire de refaire le match dans la mesure où, sans mettre hors-jeu l’avocat mandataire sportif, la Haute juridiction ne fait finalement que cantonner chaque acteur à son poste – la mise en relation des joueurs et des clubs pour l’agent sportif vs la représentation des joueurs ou des clubs pour l’avocat mandataire sportif –, dont la vocation à faire équipe, en complémentarité l’un de l’autre, doit in fine permettre de moraliser le milieu sportif.


[1] MARMAYOU (J.-M.), « L’avocat peut-il être agent sportif ? », Recueil Dalloz, 2007, p.746.

[2] CA Paris, 14 octobre 2021, n°20/11621.

[3] V. Compte rendu intégral de la séance du 8 décembre 2010, Sénat, 1re lecture : « L’exercice de cette activité par les avocats suppose qu’elle se fasse en qualité de mandataire et non comme agent sportif. En effet, le statut d’agent sportif, notamment l’obligation d’avoir une licence et d’être soumis à la discipline des fédérations sportives, est contraire aux principes essentiels de la profession d’avocat. »

[4] Réponse ministérielle publiée au JO le 1er février 2011, p.1025.

[5] Cass. civ. 1re, 15 mars 2005, n°03-17.835.

[6] Cass. civ. 2e, 8 mars 2012, n°11-13.782.

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